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CHARTE D'AMIENS ÉTABLIT L'INDÉPENDANCE SYNDICALE |
Onze ans après sa fondation et quatre ans après sa
réorganisation, la Confédération Générale du Travail réaffirme avec
force l'indépendance du syndicat par rapport aux partis politiques lors
du Congrès d'Amiens qui vote, le 13 octobre 1906, un texte qui passe à
la postérité sous le nom de " Charte d'Amiens ". Alors que la CGT compte environ 800 000 membres, les luttes se développent dans toute la France: grèves aux PTT, au Livre, à la Métallurgie, aux Mines. D'ailleurs les mineurs viennent d'être touchés par la tragédie de Courrières 1100 mineurs tués le 10 mars 1906. Dans ce contexte tendu s'ouvre, le 8 octobre, le congrès d'Amiens. D'entrée, le guédiste Victor Renard. Secrétaire de la fédération du Textile, dépose une motion demandant une collaboration étroite entre la CGT et le Parti socialiste. Le Secrétaire général, Victor Griffuelhes, et les leaders de la tendance anarcho-syndicaliste s'y opposent Cette motion est repoussée par 724 voix contre 34 et 37 abstentions C'est au contraire ce une motion radicalement inverse qui est votée le 13 octobre. La Charte d'Amiens obtient 830 voix contre 8 et une abstention. Le Congrès d'Amiens confirme donc l'article 2, constitutif de la CGT : "La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. La grève générale est l'outil de lutte préconisé et le syndicat est défini comme suit : "Aujourd'hui groupement de résistance, sera dans l'avenir le groupement de production et de répartition, base de la réorganisation sociale ". La Charte repousse donc toute sujétion du syndicat à un parti, ne serait-ce que parce que le parti politique est forcément équivoque dans son recrutement, ses méthodes, son jeu électoral et parlementaire. Dans l'intervention de Niel à la tribune d'Amiens, on trouvera probablement un bon résumé de ce que pensaient les congressistes et qui n'a rien perdu de son actualité: "Quand un patron veut diminuer les salaires de ses ouvriers, il ne les diminue pas d'un sou à ses ouvriers réactionnaires, de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées, etc. Il les diminue d'une façon égale à tous ses ouvriers, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c'est cette égalité dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur un terrain où les différences politiques ou religieuses ne les empêcheront pas de se rencontrer. Ce terrain, c'est tout simplement le syndicalisme, puisque aussi bien le syndicalisme à pour objet de s'occuper de la question des salaires ". La Charte, complémentairement "affirme l'entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au-dehors. C'est que, pour la CGT, l'action politique n'est pas blâmable en tant que telle. Pour reprendre l'intervention de Niel, cette action " est celle qui est inspirée par les préoccupations morales des citoyens, qui voudraient établir entre les hommes des relations sociales conformes à leurs désirs. Elle est exercée par ceux qui croient que les rapports entre les hommes ne pourront jamais être réglés sans l'État ; par ceux qui croient que les réformes ne peuvent venir que de la loi ; par ceux qui affirment l'impossibilité de transformer la société sans faire la conquête des pouvoirs publics ; par ceux qui veulent aider leur action économique par l'action de la loi ; enfin, même par ceux qui cherchent, dans une lutte contre tous les États, la solution à tous les problèmes de la sociologie ". En se définissant avec une telle précision, la CGT, à Amiens prenait une dimension qui obligeait les partis à se définir eux-mêmes par rapport à elle. Sans les rejeter, elle leur lançait un défi toujours actuel : faites votre travail, nous ferons le nôtre. |